Mathias Bangoura, né le 12.11.2016 à domicile à Mangata, Coyah, Guinée

Une magnifique histoire d’une belle collaboration interdisciplinaire, interinstitutionnelle et interculturelle avec des effets pérennes, partagée par Matthias Roth-Kleiner, président de l’association « souffle2vie ».

 

Madame B. se souvient bien du 12 novembre 2016 : Surprise par son accouchement prématuré, Mme B a donné naissance à domicile, en zone rurale en Guinée, 4 mois avant le terme, à un petit garçon, un très petit garçon. Son cinquième enfant et si petit ! Des souvenirs douloureux remontent en elle : mère d’un garçon et d’une fille en bonne santé, son troisième bébé est décédé à trois mois de vie et le quatrième, aussi né trop tôt, à son troisième jour. Mais ce petit bout d’être humain qui vient de naître, qui tient bien dans une main, montre des signes de vie : Il respire, il pleure, il bouge ses petits bras et pieds, à peine plus grands que les doigts de sa mère ! Mis au sein, il n’est par contre pas capable à se nourrir. Mais il vit ! Et il continue à respirer et à pleurer et ceci aussi le lendemain… !

 

Amené à l’hôpital préfectoral de Coyah, les soignants doivent réaliser qu’ils ne sont pas spécialisés et équipés pour la prise en charge de ce type de patient si petit. Ils le réfèrent deux jours plus tard en taxi brousse avec ses parents vers la capitale, où sa prise en charge est confiée au personnel de l’Institut de Nutrition et de Santé de l’Enfant (INSE), la seule néonatologie de degré élevée du pays qui fait partie de l’Hôpital Universitaire de Donka à Conakry.

 

Le 15 novembre, il est admis à l’INSE  avec un poids de 640g ! Il est estimé par les médecins de 26 semaines d’âge de gestation, alors né 14 semaine trop tôt. Etonnamment pour sa prématurité, son état général n’est pas si mal et il ne montre pas de signes de détresse respiratoire. Une infection de l’ombilic doit être traitée par des antibiotiques par voie intraveineuse. 


Peu de jours avant, une équipe multidisciplinaire de « souffle2vie » est arrivée à Conakry (Carole, infirmière spécialisée en néonatologie, Alexandre, ingénieur biomédical et moi, pédiatre spécialisé en néonatologie). Dans nos bagages, nous avons comme toujours lors de nos missions, quelques consommables comme des lunettes pour l’application de l’oxygène, des sondes gastriques et tout ceci en format minuscule pour les prématurés. En examinant ce grand prématuré de 640g, nous discutons avec nos collègues guinéens et je concluas avec le Dr Ibrahima Sory Diallo: « Si ce garçon a survécu ses trois premiers jours, et ceci sans détresse respiratoire, sans manque d’oxygène, alors il a le potentiel de survivre ! »

Jour après jour nous faisons la visite chez ce minuscule garçon. La mère exprime son lait qui lui est donné millilitre par millilitre, chaque jour une dizaine de ml de plus à travers une toute fine sonde gastrique. La perfusion peut être sevrée, car il digère bien.

 

Pour maintenir sa température nous l’emballons dans un premier temps dans du papier aluminium, pour manque d’incubateur fonctionnel et nous couvrons sa tête avec une petite chaussette.

 

 

Photo à gauche : MB à quelques jours de vie avec le pouce de sa mère.


Fort heureusement, Alexandre, notre ingénieur biomédical du CHUV, est avec nous. Avec son homologue guinéen, ils font le tour des anciens incubateurs dysfonctionnels et ils peuvent faire redémarrer l’une parmi ces vieilles isolettes ! elle sera bien nettoyé et pourra ensuite assurer la température de notre petit patient dans un premier temps.

 

Malgré le petit poids, Carole, l’infirmière dans notre équipe de « souffle2vie », propose aux infirmières de faire participer la mère dans les soins et de lui donner le petit garçon en kangourou. Une vraie collaboration interdisciplinaire !

Equipe médico-soignante de MB en novembre 2016



Je demande aux infirmières si une parmi elle sait tricoter un bonnet pour ce garçon. Une étudiante infirmière m’apporte le lendemain un magnifique bonnet en laine bleue foncée, petit, mais toujours bien trop grand pour notre patient prématuré. Mais le prenant en double il protège bien la tête contre la perte de chaleur.

 

Immense est la joie de la maman lors de ces moments de peau à peau avec son garçon.

Nous instaurons une chambre mère-enfant pour faciliter le contact entre la mère et son fils et aussi pour lui donner du courage, car elle est en train de perdre l’espoir, vu les très lents progrès de son garçon. Les infirmières guinéennes font tout pour assurer le lien mère-enfant. Les médecins passent plusieurs fois par jour pour contrôler son état, refaire des calculs de sa nourriture et adapter les doses de médicaments.

Photo à gauche:

MB avec bonnet bleu en peau à peau avec sa maman 


A dix jours de vie du plus petit patient dans l’histoire de l’INSE, notre mission arrive à sa fin et nous devons repartir. Certes, l’évolution est favorable de notre patient et il est en train de prendre du poids. Il est alimenté à travers une sonde gastrique et commence à prendre du lait à la cuillère. Il digère bien et n’a plus besoin ni de médicaments ni de perfusion, - mais long est le chemin devant lui encore et nombreux les risques auxquels il sera exposé.

 

 

Les nouvelles quelques semaines après notre retour en Suisse sont inquiétantes. Il paraît que les parents ont décidé mi-décembre de retourner dans leur village. Ils ont pris leur petit garçon avec eux, à 740g et toujours 10 semaines avant le terme prévu. Petites les chances de survivre en lieu rural de leur domicile ! Et on n’a plus eu de nouvelles !

Lors de la prochaine mission à Conakry, 5 mois plus tard, mon collègue, le Dr Ibrahima Sory Diallo m’offre une surprise inattendue : Il avait retrouvé les coordonnées des parents, repris contact avec eux et a appris que le petit garçon, malgré toutes les probabilités, est toujours en vie. Il convoque les parents avec leur garçon pour une consultation de développement à l’INSE. Quelle joie de revoir ce patient et ses parents ! J’ai l’immense plaisir de pouvoir examiner un garçon en bonne santé, avec un poids maintenant de 2.900 kg. La mère me fait remarquer le petit bonnet tricoté en laine bleue qu’elle lui a mis expressément pour la visite d’aujourd’hui en me disant : « Voyez, Dr. Matthias, maintenant le bonnet a la bonne taille ! ». Sur ma question concernant le prénom du petit grand garçon, le père me dit fièrement : « Il s’appelle Mathias. Merci pour tout ! »

MB avec bonnet bleu à 5 mois de vie


Cette histoire de bonnet bleu, racontée à une amie en Suisse, a donné naissance à une initiative à échelle européenne : « Des bonnets pour la Guinée ». (cf Lisez cette histoire ci-dessous.)


Grandes sont les émotions quand nous regardons ensemble, parents et soignants, les anciennes photos de la prise en charge des deux premières semaines de vie.

Photo à droite : La famille B: et l’équipe médico-soignante en regardant les photos des premiers jours de vie. 


MB à 2 ans de vie avec le Dr Ibrahima Sory Diallo 

Avec le Dr. Ibrahima Sory, nous déclarons que Mathias ne sera pas seulement le plus petit patient de l’INSE, mais aussi le premier patient qui profitera d’un suivi développemental comme nous l’aimerions introduire pour tous les patients prématurés de l’INSE dans l’avenir. Lors de son contrôle de deux ans, en novembre 2018, alors à un âge corrigé de 20 mois, nous trouvons un patient timide, mais fort expressif, de 8.500 kg qui marche et court avec un développement tout à fait adéquat pour son âge. 


Et la suite de l’histoire :

 

Le Dr Ibrahima Sory rencontre Mathias et sa famille chaque année autour du mois de novembre. Son développement est tout à fait normal. Pour son quatrième anniversaire, UNICEF a fait un reportage que vous pouvez lire en cliquant ici.

Photo à droite (UNICEF) : MB à 4 ans de vie




Le petit garçon Souaré

8 Septembre 2019, Killian Scartezzini

Le petit Souaré est né bien trop tôt. Environ deux mois, difficile d’être plus précis. Sa mère n’a pas tellement été suivie pendant la grossesse. Ce n’est qu’en observant sa peau, ses oreilles et d’autres détails que les médecins ont pu juger après sa naissance: Sept mois de gestation! Ce temps lui a tout juste permis de mettre en place le nécessaire pour survivre à cette aventure, - la vie.

Le petit être est né un mercredi d’avril à Conakry dans le centre médical de son quartier. En cette période de fin de saison sèche, le soleil tape fort, l’eau manque et les moustiques se tiennent tranquilles. Le tumulte de la capitale ne s’arrête pas à l’arrivée de ce petit bout de vie. 960 grammes, même pas le poids d’une brique de lait.

Il crie et respire dans l’immédiat, il prouve déjà au monde qu’il en veut et à la vie qu’il y tient. Les sages-femmes du centre de soins se rendent bien compte qu’elles ne pourront s’occuper d’un être si frêle. Il est transféré au centre de la capitale, à l’Institut de Nutrition et de Santé de l’Enfant (INSE). Les ambulances manquent et les parents traversent les 20 kilomètres d’embouteillages en taxi, emballant la petite chose dans une collection de draps et de couvertures pour la maintenir chaudement en vie.

On ne saura jamais pourquoi, la mère perd les eaux bien avant la naissance et fait de la fièvre à l’accouchement. Le petit Souaré est trop fluet pour son âge, il n’a pas bien grandit dans le giron maternel. Comme, en plus, il respire avec difficulté et manque de sucre, les médecins pensent à une infection. Il reçoit un traitement antibiotique en intraveineux. Il est nourri par sonde qui passe via la bouche dans l'estomac, reçoit une perfusion de solution glucosée dans ses veines  et de la caféine pour stimuler sa respiration. Les lunettes à oxygène dans le nez l’aident à passer le cap. Pour le reste, il se bat seul du haut de son kilo.

Dans d’autres régions du globe, le petit Souaré aurait reçu d’autres soins. Une couveuse et un soutien respiratoire plus poussé. En Guinée, une ventilation mécanique avec pression positive n’existe pas encore pour les nouveau-nés, seul de l’oxygène est disponible et ceci aussi seulement en petite quantité et interrompu par les coupures d'électricités. En Suisse, les infirmiers n’auraient pas attendu deux heures pour débuter le traitement antibiotique, car les parents ne doivent pas les chercher à la pharmacie du coin. Ailleurs qu'en Guinée, ses soins auraient été gratuits, les parents auraient rencontré très vite l’assistante sociale. Il aurait été alimenté en partie par la veine, pour laisser le temps à son intestin de prendre confiance en son nouveau rôle. Lors des changements de sonde gastrique, on n’aurait pas fallu se battre pour trouver un diamètre adapté au petit nez des prématurés.

Malgré ces manques sur tous les niveaux, Garçon Souaré poursuit son bonhomme de chemin tandis que ses congénères de prématurité n’ont pas la même chance. Un à un, ils s’éteignent tous les jours, des dizaines par semaine, le laissant seul dans son périple. Sa survie se teinte alors d’un mystérieux éclat d’exception. Pourquoi lui et pas les autres ? Certains diront que Dieu y est pour quelque chose, d’autres y verront de la chance.

Comme tous les nouveau-nés en Afrique de l’Ouest, Souaré ne porte pas encore de prénom, on le surnomme comme son père. Lorsqu’il sera sorti de l’hôpital et qu’il aura prouvé sa volonté d’exister, il sera baptisé. Là alors il pourra vivre. En attendant, le petit Souaré navigue sur ce fleuve d’incertitude, trop petit pour être vivant et en même temps fruit de tant d’amour qu’on ne peut le croire mort. 

Après deux jours déjà, Souaré reprend du poil de la bête. Sa respiration s’apaise. Comme il est calme, on l’oublie un peu et il perd du poids. 850 grammes au minimum, plus de 10% moins qu'’à la naissance. Et puis à 8 jours, la mort lui rappelle sa froide présence et il cède. À deux reprises, il cesse de respirer et se laisse porter par les ondes froides de l’inéluctable. Les médecins le retiennent, à coup de ballon de ventilation et de massage cardiaque. Souaré accepte et reste, pourquoi pas après tout ? Ces deux alertes l’effraient quand-même. Il s’accroche alors et reprend du poids.

Les jours qui suivent, il lutte pour maintenir sa température à niveau, épreuve difficile lorsque l’on fait moins d’un kilo et que l’on est balloté d’un lit à l’autre. Vingts enfants dans quinze mètres carrés, il faut soigneusement les emboiter pour y arriver. Les agencer dans les lits par paires compatibles, grands et petits, dépendants de l’oxygène ou non, jumeaux et jumelles. Et puis une certaine routine s’instaure, Souaré fait ce qu’on lui demande, il trouve un parfait équilibre entre vie et mort. Durant un mois il respire et mange mais ne dépasse pas le kilo, malgré les soins et la couveuse.

Les médecins de l’INSE, et lui non plus d’ailleurs, ne perçoivent pas qu’il est en silencieuse détresse. Que tout ce qu’il ne prend pas comme poids durant ses premiers semaines de vie, ce sont autant de risque de ne pas pouvoir se développer comme ses grands frères et sœurs. Et puis sa mère fatigue, le père aussi, ils demandent à sortir, à fuir, las de tant d’attente dans la souffrance. 

La chance, Dieu ou inversement probablement font que Matthias Roth, président et fondateur de l’association souffle2vie, est à sa 9ème mission et assiste à la visite médicale à l’INSE. Lorsque la famille Souaré exprime sa lassitude, il redonne espoir à l’équipage, il encourage les parents à rester et à intensifier les soins au petit garçons. Il sera transféré à l’unité de soins maternel kangourou. Victoire ! La famille reste, Souaré vivra,-  peut-être.

On y enseigne à sa mère comment garder l’enfant contre sa poitrine nuit et jour, en lui offrant sa chaleur et son amour. Le petit n’aura qu’à grandir pour rejoindre progressivement la rive des vivants. On apprend également à la famille comment administrer la caféine. Souaré reste prématuré et son cerveau n’est pas encore assez mur pour lui rappeler de respirer régulièrement. Le café le stimule et lui rappelle les fondements de sa survie : inspirer, expirer.

La fatigue, l’inquiétude et le manque de sommeil prennent le dessus, la mère ne produit plus assez de lait. On débute un complément artificiel. Même si moins bon et protecteur que le lait maternel, ce dernier permet à Souaré de poursuivre sa lente évolution.

C’est lorsque la famille et les soignants reprennent confiance que la mort frappe. À deux nouvelles reprises Souaré cesse de respirer. L’unité de soins kangourou est à quelques pas de la salle de réanimation. Les soignants portent en urgence le petit corps frêle devenu si lourd. Ils courent pour lui apporter un air précieux, pour souffler sur la mort un vent d’espoir et la balayer du tableau. Au second épisode, Souaré a la bouche pleine de lait. On le réanime et le breuvage s’immisce dans ses poumons. Quelques jours plus tard, il a tous les symptômes d’une pneumonie. Ni les soignants, ni la famille ne flanchent, il reçoit un nouveau traitement antibiotique et regagne sereinement la barque de l’existence.

Tous ces événements confortent l’équipe hospitalière et la famille: Ce garçon doit vivre. Les jours qui suivent sont marqués par des prises de poids quotidiennes phénoménales. Les infirmières dansent lors des pesées, la mère retrouve le sourire radieux qu’elle avait perdu et Souaré est libéré de sa sonde d’alimentation. 

Après deux mois de lutte, malgré les larmes quotidiennes de sa mère épuisée et grâce à son courage et son abnégation, garçon Souaré arrive enfin à bon port et regagne la maison. Il est choyé, aimé, vacciné, dorloté par ses proches. L’existence s’est inclinée devant tant de détermination. Le garçon est baptisé. Son prénom musulman sera celui d’Ousmane. Son prénom usuel Killian. Un clin d’oeil au médecin de « souffle2vie » qui aura lutté au côté de l’équipe guinéenne qui l’a réanimé à deux reprise et s’est tellement occupé de lui pour lui permettre un jour devenir grand. Aujourd’hui, du haut de ses quatre mois, Killian Souaré approche les 5 kilos. Il découvre et expérimente le plus beau des plaisirs, le sourire.

Killian n’a pas fait que survivre. Sans le savoir encore, il a été la lumière, sagesse infinie contre l’injustice de l’existence, guidant les soignants dans leur obscur quotidien, leur permettant d’oublier un instant les centaines d’enfants qui meurent chaque année injustement entre leurs doigts. Il leur a permis de croire en l’existence d’un sens à leur souffrance quotidienne, celui du bonheur des autres et à la valeur de leur engagement du jour au jour.