Bouffée de Conakry - 8

Quels débuts pour Céline, déjà debout à la première heure le lundi matin pour m’accompagner de s’occuper des petits bébés pendant une journée de manifestations très violentes à Conakry.

Nous avons pris notre courage à deux mains et nous sommes allées travailler comme si c’était un jour comme un autre, mais ce n’était pas du tout le cas. Les routes étaient désertes, les magasins fermés, les gens chez eux, pas de circulation, pas de changement de médecins à l’hôpital ni d’infirmiers, l’équipe a dû continuer la garde et survivre pendant plus de 48h avec l’aide de Céline et moi qui avons couru entre les patients pour réussir à tout faire.

L’hôpital était très peu fourni en personnel mais bien plein de patients... Je vous laisse imaginer le "chaos", mais on s’est bien soutenu et nous avons bien pris en charge les nouveau-nés du service pendant que l’équipe qui avait passé la nuit se reposait.

Ce jour-là, nous avons connu une petite patiente de quelques jours de vie, atteinte d’une atrésie intestinale étagée nécessitant une chirurgie en urgence, inutile vous dire que l’urgence a dû patienter 48h pour être prise en charge, à cause des manifestations dans la ville qui avaient complètement bloqués toute forme de connexion entre l’hôpital et la périphérie. Se déplacer en voiture ou en moto était très dangereux et les gens ont préféré rester chez eux pour éviter des problèmes. L’anesthésiste et le chirurgien sont donc restés chez eux vu l’impossibilité de se mobiliser, tout en se montrant disponible à venir sur place si on allait les chercher avec l’ambulance... Idée géniale mais difficile à mettre en place vu l’utilisation pas complètement adéquate de notre véhicule d’urgence qui aurait déjà dû fonctionner le matin pour aller chercher l’équipe de garde et permettre à l’autre équipe de se reposer.

Bref, l’enfant qui était une combattante a tenu dur et a bien survécu pendant 48h, jusqu’à l’opération qui s’est bien passée et qui a permis de rétablir le transit intestinal de façon correcte. Les suites post-opératoires ont été difficiles pour elle et pour tout l’équipe qui l’a suivie. Elle a développé un pneumothorax avec l’apparition d’un emphysème diffus que nous avons drainé en urgence avec le matériel à disposition en improvisant de façon MacGyver et en bricolant un système fermé qui nous a permis de résoudre le pneumothorax dans les 24h. Nous étions très contents du résultat, qui malheureusement ne fut pas suffisant pour sauver notre patiente qui nous a quitté 24h plus tard en raison d’une infection diffuse et une péjoration de son état général à tous les niveaux.

Pendant cette semaine de grèves et de manifestations générales, nous (Céline et moi) avons presque vécu à l’hôpital en développant un système de nettoyage incroyable et en rendant tout le personnel présent très curieux et prêt à nous aider pour laver à fond et rendre cette unité de néonatalogie propre. Les gens ont pris du plaisir à tel point que le lendemain du gros nettoyage, ils ont décidé de poursuivre avec d’autres salles… Simplement génial, le message était plus que passé, super !

 

Le petit prématuré né le samedi était toujours hospitalisé, sa mère et son père étaient là H24 fatigués et dans un état de grand stress très compliqué à gérer. J’ai pu discuter avec eux à plusieurs reprises en établissant un rapport de confiance qui nous a permis de bien travailler en équipe après. Le bébé a décidé de ne pas trop s’améliorer avant le week-end et de ne pas donner de grande satisfaction aux parents, mise à part l’alimentation qui était super, et à continuer à les inquiéter à tel point que j’ai dû contrôler personnellement chaque quantité de chaque repas, et chaque pause d’oxygène car les parents avaient tellement peur qu’ils ne voulaient pas donner trop de lait, ni faire de grandes pauses d’oxygène alors qu’il arrivait pourtant à bien les tolérer. J’ai dû le leur montrer régulièrement tout en leur expliquant que leur enfant avait besoin pour grandir de recevoir les apports corrects et que, pour le sevrer d’oxygène, on devait faire des essais jusqu’au jour où nous pourrions enlever les lunettes à oxygène complètement. Les matins, juste après la nuit, c’était toujours très difficile alors que l’après-midi, après nos interventions, les parents étaient toujours très confiants. C’était long, c’était très prenant, c’était un vrai défi de convaincre quelqu’un, totalement indécis et perdu, de croire ce qu’on lui disait et ce qu’on connait. Finalement, un jour, le père a lâché prise et, suite aux améliorations de son bébé, m’a remercié et s’est excusé pour son attitude très pressante et pessimiste, me demandant quelles étaient les étapes à suivre pour pouvoir bientôt rentrer à la maison avec son fils. Cette famille et cet enfant, je ne vais pas les oublier, ils ont été une épreuve de patience, d’attention extrême et de proximité avec beaucoup d’entretiens pour expliquer nos stratégies (réévaluées chaque jour) pour aider ce petit garçon à rentrer à la maison dès qu’il fut prêt et surtout en bonne santé. Ce fut difficile mais ce fut une réalité !

Paola Valabrega